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le 28 octobre 2020
Par Yves Genest, Vice-président, Produits et services, FCAR
IntroductionAu chapitre de l’audit dans le secteur public, l’une des évolutions intéressantes de ces dernières décennies a été l’apparition des mandats d’audit dits de « suivi de l’argent », qui ont vu le jour pour remédier aux lacunes constatées dans la chaîne de responsabilité à l’égard des fonds publics distribués à une foule d’intervenants. Les mandats d’audit de suivi de l’argent ont progressivement gagné du terrain, et de plus en plus de pays et d’administrations dans le monde adoptent aujourd’hui un tel mandat sous une forme ou une autre. Le présent article décrit en quoi consistent les mandats d’audit de suivi de l’argent et explique pourquoi ils sont devenus nécessaires. Il se penche également sur certaines variantes constatées en matière d’articulation et de mise en pratique de ces mandats. Enfin, il illustre, exemples à l’appui, comment ces mandats sont mis en œuvre par différentes institutions d’audit, et met en évidence quelques-unes des différences entre les audits de suivi de l’argent et les audits de performance ordinaires. Qu’est-ce qu’un audit de suivi de l’argent?Les audits de suivi de l’argent s’inscrivent dans la tendance à l’élargissement du rôle des auditeurs généraux que l’on observe depuis les années 1970. En bref, ces audits vont au-delà des mandats d’audit traditionnellement axés sur les états financiers et limités au seul périmètre des organismes publics. Dans le cadre des audits de suivi de l’argent, les auditeurs peuvent vérifier l’utilisation des fonds publics octroyés à d’autres administrations, à des particuliers, à des entrepreneurs, à des sociétés privées et à des organismes à but non lucratif (Bini, 2012). Toutefois, bien que tous les audits de suivi de l’argent visent un objectif similaire, ils ne suivent pas tous le même modèle. Comme le montre le tableau 1, ils peuvent varier en fonction de plusieurs paramètres, et certaines conditions, comme les seuils financiers, peuvent restreindre leur portée et leur étendue.
Il convient de préciser que les audits de suivi de l’argent ne constituent pas un type d’audit défini selon des normes, contrairement aux audits financiers, aux audits de conformité ou aux audits de performance. En effet, un audit de suivi de l’argent peut être l’un ou l’autre de ces types d’audit. D’ailleurs, l’expression « suivi de l’argent » n’apparaît pas dans la plupart des lois sur l’audit. Cependant, les études sur le sujet et les bureaux d’audit eux-mêmes utilisent cette expression pour parler du mandat d’audit législatif et des audits qui en découlent. On trouvera à l’annexe A du présent article une synthèse des différences entre les mandats en matière de suivi de l’argent dans les administrations fédérale et provinciales au Canada. Pourquoi des audits de suivi de l’argent sont-ils devenus nécessaires?La nécessité d’effectuer un suivi des fonds publics et la création de mandats d’audit correspondants s’inscrivent dans le prolongement de plusieurs évolutions au chapitre de la gouvernance du secteur public. Depuis plusieurs années, les gouvernements cherchent de plus en plus à établir des partenariats et des mécanismes d’exécution innovants, lesquels ont changé la conception et la mise en œuvre d’un grand nombre de programmes, d’activités et de services gouvernementaux. Par exemple, dans l’État de Victoria, en Australie, près de 40 % de la population carcérale est actuellement hébergée dans trois prisons privées. Ces prisons ont été conçues, financées et construites par le secteur privé en l’espace de deux ans, à la faveur de la fin du monopole de l’État sur les prisons (Sands, O’Neill et Hodge, 2019). Un risque important lié à ces types de contrats tient au fait que les prestataires du secteur privé peuvent décider de se cacher derrière des accords de confidentialité ou d’invoquer le caractère commercialement sensible de certaines informations pour refuser de rendre publiques les données relatives à la performance. Il pourrait s’ensuivre une situation paradoxale, où les petits organismes gouvernementaux se verraient assujettis à de lourdes exigences de responsabilité pour des programmes relativement mineurs, tandis que les projets à grande échelle gérés par des sociétés privées échapperaient au dispositif de surveillance (Hodges et Fawcett, 2014). Lorsque les mandats de suivi de l’argent ont été débattus, l’un des contre-arguments avancés voulait que les mandats d’audit existants étaient suffisants pour obliger le gouvernement à rendre des comptes à l’égard des dépenses publiques, si bien que l’élargissement des pouvoirs des bureaux d’audit n’était pas nécessaire. À titre d’exemple, Grant Hehir, alors secrétaire du Département du Trésor et des Finances de l’État de Victoria, a déclaré, lors d’une enquête parlementaire menée en 2010 sur l’Audit Act de 1994, qu’il éprouvait une certaine réticence quant à l’opportunité de conférer des pouvoirs de suivi des fonds publics. Ainsi a-t-il soutenu devant le Comité des comptes publics et des prévisions budgétaires que les questions liées à la gestion des contrats relevaient déjà de la compétence du vérificateur général. Si un gestionnaire de contrat ne pouvait pas garantir l’exécution efficace du contrat, c’est que ce dernier n’avait pas été rédigé comme il se devait et qu’il devait être corrigé (Parlement de Victoria, 2010). En fin de compte, le consensus qui a prévalu dans de nombreuses administrations est que des mécanismes d’exécution non traditionnels, qui supposaient diverses formes de partenariat, réduisaient la capacité des bureaux d’audit législatif à accomplir leur travail. Comme cela a été avancé lorsque la question a été examinée dans les parlements de Victoria et du Queensland, en Australie, l’idée n’était pas d’élargir les pouvoirs d’audit, mais de les rétablir. Ces pouvoirs s’avéraient nécessaires pour que, même lorsque les dépenses sont engagées en dehors du périmètre gouvernemental, les bureaux d’audit et les assemblées législatives dans l’intérêt desquelles ils agissent puissent veiller à ce que les fonds publics soient gérés selon la diligence qui s’impose (Parlement du Queensland, 2011; Doyle et coll., 2014). Enfin, il convient de mentionner une réserve importante. L’exercice des pouvoirs d’audit, comme tout pouvoir conféré par une loi, est assujetti à des contrôles judiciaires et à la jurisprudence qui en découle (FCVI, 1996). Or, ces pouvoirs peuvent être interprétés de plusieurs façons quant à qui et ce qui peut être audité (Cour suprême du Canada, 1989). Les mandats de suivi de l’argent ne sont pas différents à cet égard et, comme ils sont relativement récents, leur application pratique s’affinera certainement au fil du temps. Le tableau 2 décrit quelques-uns des nouveaux partenariats et mécanismes d’exécution innovants utilisés par les gouvernements et précise comment ils peuvent complexifier la responsabilisation à l’égard des dépenses publiques du point de vue des auditeurs. Le tableau illustre des situations dans lesquelles des organismes extérieurs à l’appareil gouvernemental pourraient recevoir des fonds publics et jouer un rôle important dans la prestation de services et la construction d’infrastructures, tout en échappant à l’examen des auditeurs gouvernementaux et à la surveillance parlementaire.
Que convient-il de prendre en compte lors de la réalisation d’un audit de suivi de l’argent?Il n’y a guère de différences entre les audits de performance « ordinaires » et les audits de suivi de l’argent en ce qui a trait à leur déroulement. Toutefois, comme les organisations auditées se situent en dehors du périmètre traditionnel du secteur public, les auditeurs doivent prendre en compte un certain nombre de facteurs à chaque étape du processus d’audit. Planification
Examen
Production du rapport
Surveillance
Exemples d’audits de suivi de l’argentDans le cadre de notre étude, nous n’avons pas recensé un grand nombre d’audits menés au moyen de pouvoirs en matière de suivi de l’argent. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, bien qu’ils soient largement reconnus comme nécessaires et utiles, les audits de suivi de l’argent constituent un prolongement des mandats d’audit déjà larges ciblant des organismes gouvernementaux qui figurent parmi les plus grands acteurs financiers et institutionnels dans le pays où l’administration visée. Dans de nombreux cas, les bureaux d’audit utilisent déjà l’essentiel de leurs ressources pour couvrir les activités et les organismes gouvernementaux « traditionnels »; les ressources disponibles pour des audits de suivi de l’argent peuvent donc être rares. Par ailleurs, bon nombre des organisations susceptibles de faire l’objet d’un audit de suivi de l’argent n’ont pas une envergure assez importante ou ne représentent pas un risque suffisant pour justifier un tel audit. Enfin, comme certains bureaux d’audit nous l’ont indiqué, les audits de suivi de l’argent découlent souvent d’allégations provenant de tiers et ne sont pas publiés, car ils finissent par devenir une enquête pour fraude ou acte répréhensible, laquelle peut relever d’un cadre juridique différent (un tribunal ou une autorité policière). Le tableau 3 donne un aperçu de quelques-uns des audits de suivi de l’argent qui ont été menés au Canada et en Australie.
ConclusionAlors que le secteur public continue d’évoluer en mettant à profit un éventail toujours plus large de mécanismes d’exécution non traditionnels, faisant intervenir d’autres administrations, des particuliers, des entrepreneurs, des sociétés privées et des organismes à but non lucratif, les bureaux d’audit ont acquis des mandats qui leur permettent d’évaluer la gestion et la prestation de ces services, même lorsque ceux-ci sont franchement situés en dehors des organismes gouvernementaux classiques. Cette évolution a contribué à réduire les risques liés aux lacunes qui entravent la responsabilisation vis-à-vis des dépenses publiques à laquelle les citoyens et leurs représentants s’attendent désormais. Loin d’entraîner une intrusion massive dans des domaines où les auditeurs du secteur public étaient auparavant exclus, les audits de suivi de l’argent sont utilisés de manière sélective et stratégique, et permettent d’atténuer les risques en matière de responsabilisation dans des secteurs où le Parlement et les citoyens pourraient n’avoir aucune visibilité une fois les fonds publics versés à des tiers. |
Annexe A – Aperçu des mandats d’audit de suivi de l’argent au Canada
Annexe B – Sources des mandats d’audit législatif au Canada
Références
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