Quel était l’objet de cet audit?
En septembre 2015, les Nations Unies ont adopté à l’unanimité la résolution intitulée « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Le Programme 2030 s’articule autour de 17 objectifs ambitieux (les objectifs de développement durable, ou ODD) visant à concrétiser le développement durable à l’échelle de la planète, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, et notamment à mettre fin à la pauvreté mondiale, à parvenir à l’égalité des sexes, à promouvoir la croissance économique, à protéger l’environnement et à créer des institutions efficaces, responsables et transparentes d’ici à 2030. La mise en œuvre réussie de ces objectifs nécessitera une mobilisation et une participation larges et inclusives de tous les ordres de gouvernement, des secteurs public et privé, des communautés autochtones, du milieu universitaire et de la société. Au Canada, le gouvernement fédéral joue un rôle de chef de file à l’échelle nationale et internationale.
Au plan mondial, les Nations Unies examineront les progrès globaux réalisés en vue d’atteindre les cibles relevant des ODD. Les Nations Unies encouragent chaque gouvernement à évaluer ses propres résultats, ainsi qu’à surveiller les progrès réalisés dans l’atteinte de ses cibles et à en rendre compte.
L’Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (INTOSAI), qui appuie les initiatives des Nations Unies, a adopté une approche commune en sept étapes permettant aux auditeurs d’évaluer l’état de préparation des gouvernements pour la mise en œuvre du Programme 2030. Plus de 80 pays, dont le Canada, réalisent des audits similaires aux quatre coins de la planète. Par l’entremise de la commissaire à l’environnement et au développement durable, le Bureau du vérificateur général du Canada (BVG du Canada) a adapté l’approche en sept étapes de l’INTOSAI (voir l’encadré) au contexte canadien.
Dans son rapport d’audit, le Bureau du vérificateur général du Canada a représenté la façon dont il a adapté l’approche de l’INTOSAI au moyen du diagramme suivant :
Le BVG du Canada a eu recours à cette méthode pour informer le Parlement de l’état de préparation et des progrès du gouvernement du Canada pour la mise en œuvre des ODD. L’audit consacré à l’état de préparation du gouvernement pour la mise en œuvre du Programme 2030 a porté sur sept ministères et organismes :
- Emploi et Développement social Canada
- Environnement et Changement climatique Canada
- Affaires mondiales Canada
- Affaires autochtones et du Nord Canada
- Bureau du Conseil privé
- Condition féminine Canada
- Statistique Canada
Qu’est-ce que l’audit a permis de constater?
Le rapport d’audit a abordé différentes facettes de la gestion des ODD des Nations Unies. L’audit a permis de définir des domaines nécessitant l’intervention du gouvernement fédéral pour réussir à mettre en œuvre les ODD. En voici un résumé :
« Dans l’ensemble, nous avons constaté que le gouvernement du Canada n’avait pas défini d’approche officielle pour mettre en œuvre le Programme 2030 et les objectifs de développement durable. (...) Cependant, malgré certaines mesures particulières prises par les ministères et organismes, il n’y avait toujours pas en novembre 2017 de structure de gouvernance fédérale fondée sur une formulation claire des rôles et responsabilités de chacun. Nous avons constaté qu’il n’y avait pas de plan de communication ni de stratégie de mobilisation décrivant la manière de faire participer les autres ordres de gouvernement et la population canadienne à un dialogue national sur le Programme 2030. Nous avons aussi constaté qu’il n’y avait pas de plan de mise en œuvre ni de système pour évaluer et surveiller les progrès réalisés dans la mise en œuvre des objectifs, et en faire rapport. »
Une interprétation étroite du développement durable
Pour réaliser le Programme 2030, il faudra concrétiser le développement durable, à la fois dans ses dimensions économique, sociale et environnementale. En tant que principal ministère fédéral responsable du développement durable depuis 2008 en vertu de la Loi fédérale sur le développement durable, Environnement et Changement climatique Canada doit préparer une Stratégie fédérale de développement durable tous les trois ans. La stratégie 2016-2019 du gouvernement, publiée après l’adoption par le Canada du Programme 2030, n’était pas conforme à l’engagement de mettre en œuvre ce programme. Cette stratégie portait essentiellement sur l’environnement, en mettant moins l’accent sur les dimensions économique et sociale du développement durable.
L’absence d’une structure de gouvernance fédérale
Le gouvernement ne disposait d’aucune structure de gouvernance fédérale pour gérer la mise en œuvre des ODD. Toutefois, certaines activités avaient eu lieu pour préparer cette mise en œuvre : des comités interministériels informels composés de directrices générales et directeurs généraux s’étaient notamment réunis depuis 2016 pour commencer à élaborer une stratégie de mise en œuvre du Programme 2030. En outre, Affaires mondiales Canada a établi une correspondance entre les 17 ODD et les priorités et mandats ministériels. Le Bureau du Conseil privé a désigné cinq ministères et organismes chargés de diriger la préparation pour la mise en œuvre du Programme 2030.
Le Forum politique de haut niveau pour le développement durable des Nations Unies, qui se réunit tous les ans, donne l’occasion aux pays de présenter les progrès réalisés dans la mise en œuvre des ODD, par le biais des examens nationaux volontaires (ENV). En novembre 2017, 65 pays avaient présenté leur ENV, mais le Canada ne l’avait pas fait pendant la période visée par l’audit.
Des consultations et une mobilisation limitées à l’échelle nationale
Les ministères et organismes chargés de diriger la préparation pour la mise en œuvre du Programme 2030 n’avaient pas défini de plan de communication et de stratégie de mobilisation exhaustifs afin d’accroître la sensibilisation, de consulter et de mobiliser les autres ordres de gouvernement et la population canadienne. Malgré l’absence d’un plan ou d’une stratégie, tous les ministères et organismes responsables avaient engagé des consultations à l’été 2017 auprès d’un nombre restreint de parties prenantes, incluant des organisations de la société civile, des organismes à but non lucratif, des universités, une municipalité et certaines entreprises du secteur privé. Chaque ministère et organisme a pu ainsi recueillir les points de vue des parties prenantes sur les mesures à prendre pour préparer et mettre en œuvre le Programme 2030.
L’absence d’un plan de mise en œuvre et un nombre peu élevé de cibles nationales
Au moment de l'audit, il n'y avait pas de plan de mise en œuvre national et peu de cibles nationales. Le Programme 2030 encourage chaque gouvernement à fixer ses propres cibles selon son contexte national et sur la base de données et d’analyses. Au Canada, comme les compétences sont partagées entre différents ordres de gouvernement, cela suppose une collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux. Le gouvernement fédéral n’avait pas défini un ensemble complet de cibles nationales pour mettre en œuvre les ODD. Cependant, il existe des initiatives importantes qui pourraient constituer la base d’un ensemble de cibles nationales pour le Canada. En outre, le gouvernement fédéral ne disposait pas d’un plan national de mise en œuvre incluant des cibles nationales pour le Programme 2030, ainsi que des politiques et des programmes visant à les atteindre.
L’absence d’un système pour évaluer et surveiller les progrès réalisés par rapport aux cibles nationales, et en faire rapport
Le gouvernement fédéral ne pouvait pas évaluer les progrès réalisés par le Canada en vue d’atteindre ses cibles nationales, parce qu’il n’avait pas établi d’ensemble complet de cibles nationales pour le Programme 2030, ni de système permettant d’évaluer, de surveiller et de communiquer les résultats des politiques et des programmes visant à les atteindre. Toutefois, en novembre 2017, le Bureau du Conseil privé et les cinq ministères et organismes responsables avaient recensé des systèmes dont ils pourraient se servir à l’échelle fédérale.
Les consultations menées par les ministères et organismes sur des politiques et des programmes précis
Les ministères et organismes responsables ont consulté la population canadienne sur l’élaboration de politiques et de programmes liés au Programme 2030. Ces consultations ont permis de produire des documents couvrant un certain nombre de sujets, dont la violence sexiste, les services à l’enfance et à la famille dans les collectivités des Premières Nations, et la pauvreté. Toutefois, l’efficacité de ces consultations n’a pas été évaluée dans le cadre de l’audit.
Les analyses incomplètes des politiques et des programmes déjà en place
Les ministères et organismes responsables n’ont pas analysé dans quelle mesure leurs politiques et leurs programmes pourraient contribuer à l’atteinte des cibles et des objectifs du Programme 2030. Toutefois, chacun d’entre eux avait commencé à déterminer quels ODD pouvaient se rattacher à son mandat. Ces ministères et organismes ont commencé à établir la correspondance entre leurs politiques ou leurs programmes et ces objectifs. Dans quelques cas, la correspondance a été établie avec des cibles et des indicateurs.
Le cadre de données élaboré
Les Nations Unies ont établi et finalisé un ensemble de 232 indicateurs mondiaux spécifiques pour le Programme 2030. Le bureau de statistique de chaque pays est censé recueillir des données fondées sur ces indicateurs mondiaux, et présenter un rapport annuel à ce sujet aux Nations Unies. Les Nations Unies se fondent sur ces rapports des différents pays afin de surveiller les progrès réalisés à l’échelle mondiale dans la mise en œuvre des ODD, et présentent les résultats obtenus dans leur rapport d’étape annuel.
Statistique Canada a préparé un cadre de données pour évaluer les résultats du Canada par rapport aux indicateurs mondiaux. Ce cadre sert de fondement pour prendre des décisions en matière de collecte de données. En tant que membre du Groupe d’experts des Nations Unies et de l’extérieur chargé des indicateurs relatifs aux objectifs de développement durable, Statistique Canada a rapidement pris des mesures pour élaborer un cadre en vue de recueillir des données canadiennes sur les indicateurs mondiaux. Ce cadre aide à définir, à caractériser et à organiser l’information sur les données à recueillir, ainsi qu’à déterminer les sources. Statistique Canada a consulté des ministères et organismes fédéraux, ainsi que les parties prenantes concernées, afin de recueillir des renseignements par objectif et par cible sur la disponibilité des données et sur les lacunes connexes, pour les indicateurs mondiaux. En novembre 2017, l’organisme avait recensé des sources de données possibles pour 68 p. 100 des indicateurs. Dans la mesure où Statistique Canada n’avait pas terminé de rassembler les données, depuis leurs sources originales, pour les compiler dans le portail de données en ligne qui était en cours d’élaboration, aucun rapport sur les indicateurs mondiaux n’était disponible au moment de l’audit.
Le portail de données canadien en cours de développement
Statistique Canada a indiqué être en train de créer un portail de données en ligne qui présenterait au public des données validées sur les progrès réalisés par le Canada par rapport aux indicateurs mondiaux. Statistique Canada espérait que le portail serait prêt au printemps 2018 et que d’autres ministères et organismes fédéraux pourraient l’alimenter en données.
Quelles ont été les conséquences de l’audit?
En s’engageant à mettre en œuvre le Programme 2030, à l’instar de 192 autres pays, le gouvernement fédéral s’est lancé dans un projet ambitieux. Les conclusions d’audit montrent toutefois que le Canada n’avait pas pris certaines mesures fondamentales, par exemple l’établissement d’une structure et d’un plan de gouvernance, pour être en position de tenir son engagement international.
L’audit contient plusieurs recommandations concrètes visant à aider le gouvernement du Canada à mettre en œuvre ses ODD :
- Le gouvernement devrait élaborer et communiquer une structure de gouvernance pour gérer la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies.
- Le gouvernement devrait définir un plan de communication et une stratégie de mobilisation inclusifs afin de sensibiliser le public au Programme 2030, ainsi que de consulter et de mobiliser les autres ordres de gouvernement et la population canadienne.
- Le gouvernement devrait établir et communiquer un plan de mise en œuvre pour l’atteinte des cibles nationales et des objectifs de développement durable au Canada.
- Les ministères et organismes devraient analyser dans quelle mesure leurs politiques et leurs programmes peuvent contribuer à l’atteinte des cibles et des objectifs du Programme 2030.
Cet audit constitue un bon exemple de la manière dont un audit peut influencer l’action du gouvernement en temps réel. Dans le budget de 2018 qu’il a déposé le 27 février 2018, le gouvernement du Canada « propose de fournir un financement de 49,4 millions de dollars sur treize ans à compter de 2018-2019, en vue de mettre sur pied une unité d’objectifs de développement durable et de financer des activités de surveillance et d’établissement de rapports par Statistique Canada ». Le budget de 2018 « propose par ailleurs de fournir, à même les ressources ministérielles existantes, jusqu’à 59,8 millions de dollars sur 13 ans à compter de 2018-2019, pour des programmes à l’appui de la mise en œuvre des objectifs de développement durable ».
Quelles leçons peut-on tirer de cet audit?
Le Programme 2030 et les ODD offrent un cadre complet permettant aux auditeurs d’évaluer les progrès réalisés pour construire « le monde que nous voulons ».
L’utilisation d’un modèle générique de mise en œuvre peut aider à structurer et à transmettre les messages de l’audit
À l’échelle mondiale, plus de 80 pays évaluent actuellement l’état de préparation de leurs gouvernements pour la mise en œuvre des ODD. En utilisant le modèle en sept étapes élaboré à cette fin par l’INTOSAI, les auditeurs peuvent évaluer les progrès réalisés au Canada et les comparer à ceux des autres pays.
Les audits de l’état de préparation constituent un travail préparatoire utile
Les audits de l’état de préparation offrent une occasion inestimable de procéder à des évaluations de base du travail effectué et des progrès réalisés jusque-là. Il existe heureusement plusieurs outils, comme les audits effectués par d’autres gouvernements, qui permettent d’aider les gouvernements à réaliser des audits de l’état de préparation et des examens nationaux volontaires (un instrument donnant l’occasion aux pays de présenter leurs progrès dans la mise en œuvre des ODD). Compte tenu de l’échéancier à long terme de l’initiative des ODD, dont la conclusion est prévue en 2030, les pays réalisant des audits de l’état de préparation peuvent changer de cap dès les premières étapes du processus s’ils détectent des problèmes.
La participation de multiples ministères et organismes est parfois nécessaire
La complexité de l’audit augmente avec le nombre de ministères et d’organismes visés, en particulier du fait du nombre d’entrevues, de documents à recueillir et à examiner, d’observations, de constatations, de conclusions et de recommandations. Dans la mesure où le Programme 2030 des Nations Unies encourage une approche « pangouvernementale », il est habituel qu’un certain nombre de ministères et d’organismes soient visés par l’audit. Pour couvrir toutes les facettes du sujet, cet audit spécifique a porté sur sept ministères et organismes, ce qui en a accru la complexité.
L’obtention de renseignements sur des questions d’intérêt international peut être largement bénéfique
Bien que le processus n’en soit qu’à ses débuts, ce type d’audit offre la possibilité de comparer les résultats avec d’autres pays où les échéances et les attentes sont les mêmes. Fort de ces renseignements, le Canada peut mesurer le succès de son action et définir les domaines sur lesquels il doit concentrer ses efforts à l’avenir. Ces perspectives internationales peuvent également permettre de définir des possibilités d’amélioration du processus qui n’ont pas encore été envisagées.
La simplicité est souvent la meilleure solution
Comme indiqué précédemment, les audits de l’état de préparation sont réalisés de façon précoce pour qu’il soit possible de changer de cap. Toutefois, cela peut poser des difficultés pour les nouvelles initiatives, car il est parfois compliqué de définir des critères spécifiques. Les critères utilisés dans cet audit constituent des principes de base qui devraient être intégrés à de nombreux audits de ce type. À titre d’exemple, les critères consistaient à déterminer si un modèle de gouvernance était en place ou non, et si les ministères et organismes disposaient de procédures efficaces. Les auditeurs et la direction s’attendraient à ce que ces critères de gestion de base soient mis en place rapidement dans le cadre d’une telle initiative.
Équipe d'audit
De gauche à droite : Ludovic Silvestre, Genna Woolston, Sylvie Marchand, Kimberley Leach, Tristan Matthews
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